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en tourbillonnant

Signes culturels rencontrés : musique, peinture, écriture, etc.

Balzac à Tours, la statue supprimée

Une exposition au Musée des Beaux Arts de Tours, « Balzac Monumental », pour les 220 ans de la naissance de l’écrivain dans cette ville, présente comment les monuments lui rendent hommage. 
Tours avait une grande statue en bronze de l’écrivain à partir de 1889 puis enlevée, fondue et transformée en canon allemand en 1942. 
Elle était l’œuvre du sculpteur Paul Fournier.
Cette statue était située au débouché de l’Avenue de Grammont, devant l’Hôtel de Ville de Tours.  
Elle a disparu.  
Pour commencer, voici le dessin de Dochy, paru dans L’Illustration et dans Le Monde Illustré du 30 novembre 1889. Seul un dessin peut évoquer ce bronze détruit. 

De nombreuses cartes postales anciennes, en particulier dans la collection du Conseil Départemental, donnent un peu plus de réalité à ce fantôme. Celle-ci :

 

ou celle-là, où on voit mieux les traits de l'écrivain :

Regardez bien ces cartes. Le choix du sculpteur et le résultat étaient très discutés. Certains pensaient que Balzac méritait mieux. Certes, ce n'est pas Rodin dont le Balzac (debout) franchira les siècles, donnant l'exemple de la bravoure et du défi.

Nous pensons cependant que l'œuvre de Paul Fournier avait du mérite. Le portrait était inspiré du tableau de Louis Boulanger (Musée des Beaux Arts de Tours) où l'écrivain est représenté dans sa robe de chambre, "ce froc de cachemire ou de flanelle blanche retenu à la ceinture par une cordelière" (Théophile Gautier en 1858), comme la bure d'un moine consacré à l'écriture, rêveur mais la plume à la main. Paul Fournier, lui-même auteur, comprenait le mystère des mots.
Il connaissait aussi le buste par David d’Angers, mais le visage de Balzac proposé par Fournier est différent, concentré, empreint de bonté et de vie intérieure. Nous pouvons nous en faire une opinion car la seule sculpture de Paul Fournier que nous voyons dans l’exposition est ce plâtre, actuellement à Saché, probablement une étude pour la statue de Tours.

La statue en plâtre a été coulée en bronze par la fonderie Thiébault Frères le 24 décembre 1888. Le Monument de Tours  a été inauguré le 24 novembre 1889. La cérémonie était bien réglée. La tragédienne Adeline Dudlay de la Comédie-Française a dit les alexandrins de…. Paul Fournier. Voici les dix derniers vers de son poème, « d’un style convenu et assez plat » disent certains :

O souffle ardent, grand cœur, esprit géant, immense,
Qui de nos passions nous montras la démence,
N’ignoras rien de l’homme en ses moindres ébats
Ni plaisirs, ni douleurs, ni les rudes combats
Qu’il livre et qu’il subit sans relâche sur terre ;
Balzac, de ton génie, un monde est tributaire.
La Touraine, ta mère, au fond de sa cité,
Cisèle sur l’airain ton immortalité,
Et la France, en ce jour de gloire où l’on t’acclame
Voit en toi son esprit et reconnaît son âme !

La déclamation de l’ode est saluée sur le dessin de Paul Destez dans L’Univers Illustré du 30 novembre 1889.


Le monument, nous dit-on, attirait les promeneurs. On pouvait écouter près de la statue les concerts de la Brasserie l’Univers. Les amoureux s'embrassaient, cachés par le socle. Sur la première carte postale, il y a trois enfants ; nous aimons bien le canotier que porte celui du milieu.

Le monument a été enlevé sur ordre des occupants allemands. Le gouvernement de Vichy et la Mairie de Tours ont obtempéré ; il convenait de récupérer ces métaux rares (cuivre, zinc, antimoine et plomb). Cela a eu lieu le 6 janvier 1942, un mardi, le jour des Rois. Vu l’époque, les galettes de consolation ont dû être difficiles à trouver. La Feldkommandantur pour l’Indre-et-Loire était logée tout près, à l’Hôtel de l’Univers et au Palais de Justice. On trouve un compte-rendu du « départ » dans La Dépêche du Centre et de l’Ouest, quotidien vichyssois. Pour faire avaler la pilule, l’article commence par dire que la statue ne valait pas grand-chose : « discutable valeur artistique ».
Une photo « officielle » du départ est dans la Dépêche du 7, prise par le photographe (op. c-à-d operator en allemand) Kohlmuller :


 Une photo clandestine de son départ vers la gare de triage de Saint-Côme à La Riche est quelquefois reproduite, par exemple dans le livre La Touraine dans la guerre, C.L.D./Nouvelle République, avril 1985, d’où provient le document présenté ici ; (photo anonyme, collection Michel Petit) ; voir aussi La Nouvelle République du 21 septembre 2017.

 
 On reconnaît à gauche l’hôtel de ville de Tours. Honte !
La Dépêche du 8 explique que l’on a récupéré 1690 kg de métal (c'est bien peu).
Dans une lettre à Robert Lauvin du 31 décembre 1980, le Maire de Tours, Jean Royer écrivait : « En ce qui concerne la reconstitution de la statue enlevée pendant la guerre par l’occupant, nous en conservons l’idée dans nos projets culturels. » 

On trouvera peu d'œuvres de Paul Fournier ; un buste en marbre représente le peintre Chardin, à droite dans le hall d'entrée de la mairie du 6e arrondissement à Paris, près de Saint Sulpice  ; un monument au compositeur Adolphe Adam à Lonjumeau ; une Ophélie Art nouveau à l'érotisme retenu et d'autant plus troublant se trouve à Nice. Ce sculpteur, amateur de théâtre et lui-même auteur, avait aussi réalisé tout simplement un Shakespeare, au carrefour du boulevard Hausmann avec l'avenue de Messine (photo pleine page dans le catalogue Balzac Monumental). Cette statue avait le tort d'être en bronze et a aussi été enlevée, sous l'occupation, pour les mêmes raisons que le Balzac de Tours. La fiche Wikipédia signale d’autres œuvres ; de petits bronzes se trouvent quelquefois en vente sur internet.

On peut voir à Paris un autre Balzac assis, celui d'Alexandre Falguière (1902). En pierre celui-là, il ne pouvait servir à faire des canons. Il se trouve toujours  place Georges Guillaumin au croisement de l'avenue de Friedland et de la rue... Balzac. Rodin a paraît-il assisté à son inauguration. C'est une sculpture bien sage.


BC

 


[Ce billet reprend des éléments que j’ai écrits dans le blog « Lire à Vouvray », le 14 septembre 2010, pour la Bibliothèque Municipale.]

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