avec Pierre Bézoukhov

Vous prenez ce livre. 
Vous voyez ces salons dorés : les murs, les plafonds ; les lumières de centaines de lustres.
Et aussi la chasse aux loups, les traineaux dans la neige scintillante, le vent dans les branches argentées.
Et le théâtre de la guerre, les uniformes brodés d'or, les poitrines chamarrées dont les décorations lancent les éclats de leur diamants.
On ne voit pas Pierre Bézoukhov ; il est là, avec nous.
On nous dit que c'est le héros principal de Guerre et Paix. Comme nous, il est toujours présent. Il nous accompagne.
Il est grand et gros, d'un physique peu séduisant. Mais il sait aller de l'avant. Comme nous.
Vêtu de couleur sombre, il cache le poignard pour tuer le tyran. Il ne le fait pas. Il échoue. Comme nous.
Vêtu de couleur sombre, du début à la fin il est dans les pages du livre.

Certes, il est le Prince Bézoukhov, puissant par la fortune qu'il possède, mais aussi par son regard sur le monde. C'est d'abord le regard d'un naïf ; il se trompe ; on  le trompe ; il le sait. Beaucoup veulent ses sous, les débauchés, les maçons, les hommes d'affaire, les femmes. Il a tant d'argent qu'on ne le fait pas souffrir, mais surtout, les rapaces vont dans les recoins de son esprit où ils ne comptent plus pour lui.

Il a lu des lignes.
Médité des aphorismes. 
Son cerveau est plein de ce que nous ne saurons jamais. Il y accueillera nos balbutiements. 

Il ne veut pas faire la guerre. Il laisse ça à d'autres, comme son ami Bolkonski , mais il veut savoir. il va sur le champ de bataille. Les obus volent dans l'espace. Les balles sifflent et tuent. D'un autre prisonnier, Platon Karataïev, il apprend la sagesse.

Son regard porte la douceur. Il veut communier, communiquer avec tous. Il vit au-delà du pardon. On veut être son ami.
Je ne sais pas où il va, mais il me prend par la main et je le suis. 

BC