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en tourbillonnant

Signes culturels rencontrés : musique, peinture, écriture, etc.

Julia

Whenas in silks my Julia goes,
Then, then (me thinks) how sweetly flowes
That liquefaction of her clothes.

Next, when I cast mine eyes and see
That brave vibration each way free;
O how that glittering taketh me!

Quand Julie s'avance en robe de soie,
comme j'aime à voir couler, si exquise,
la fluidité de son vêtement ;

et puis, tandis que mon regard se pose
sur la robe qui frémit et s'élance,
ô l'enchantement de cette lumière !

Ce poème a été écrit par Robert Herrick, poète anglais du 17e siècle. Il est très célèbre, et certains de ses textes (surtout Corinna's going a Maying et To the Virgins, to make much of time) sont dans bien des anthologies. Les lecteurs français le connaissent peu, les étudiants anglicistes mieux, surtout quand son œuvre est à l'agreg.

Pourtant c'est un Français qui, un des premiers, l'a vraiment étudié : la thèse de Floris Delattre a été publiée chez Félix Alcan en 1912. L'auteur est mort en 1950, il y a soixante dix ans. La traduction du poème, citée plus haut, c'est lui qui l'a faite.
Herrick est trop souvent considéré comme le chantre cultivé de l'amour. C'est tout. En réalité il est très complexe. Certains l'ont vu, comme le Néo Zélandais Sydney Musgrove en 1950 (The Universe of Robert Herrick, Auckland University College Bulletin, no. 38, English Series, no. 4, 1950). Lisez, si vous voulez, la notice de Wikipédia en français. On y rapproche To the Virgins du Mignonne, allons voir…, sans dire que le carpe diem se trouve ailleurs, chez Horace bien sûr, mais jusqu'à Si tu t'imagines de Raymond Queneau. Si vous savez de l'anglais, voyez  dans cette langue la notice de Wikipedia dans cette langue et commencez un surf qui vous conduira, je l'espère, à "Luminarium", et à la "Poetry Foundation" de Chicago, où vous trouverez un long article, très complet. Dommage que cet article soit anonyme. 
Sur ce poète, beaucoup de choses pourraient être dites. Il y a des évidences qui traînent partout, mais aussi beaucoup de questions à poser : qu'était ce "delight in disorder" ? et cette "cleanly wantonesse" ?
Comment s'accommodait-il de tant d'épigrammes souvent plats et presque toujours orduriers ? Il faut lire l'analyse (en anglais encore) de John L. Kimmey de l'Université de Caroline du Sud (2008). Gratuitement, on peut en lire la première page, le reste est payant (et un peu cher, c'est vrai). 
L'édition utilisée ici est celle de L.C. Martin, en 1956 (!!) publiée aux OUP. Voici, pour commencer, la référence 261.2 ; c'est celle du poème Upon Julia's clothes. Il y a une édition plus récente (2013), chez le même éditeur, mais un peu chère, par Tom Cain et Ruth Connolly. Vous la trouverez en bibliothèque (elle est à la BNF). Cette édition est un outil de travail indispensable. L'appareil critique est remarquable, établi après la consultation de tous les manuscrits. En français, une sélection parue à La Différence (Collection Orphée) en 1990 est encore disponible. Les traductions sont dues à Gérard Gacon. En septembre 2011, est paru, sous la direction, de Tom Cain et Ruth Connolly, le livre  'Lords of Wine and Oile', Community and Conviviality in the Poetry of Robert Herrick également aux Presses d'Oxford. C'est une série de contributions qui montre le renouveau des études sur Herrick avec le 21e siècle.


Le poème Upon Julia's clothes est souvent commenté. Il faut lire l'analyse de Richard J. Ross : Herrick's Julia in silks dans Essays in Criticism (1965) XV (2): 171-180.  Il faut lire aussi l'essai de Seth D. Clarke, Redefining Sexuality in the Poetry of Robert Herrick, mis en ligne dans son blog en décembre 2011.

Les aspects concrets d'aimer, comme le baiser sont envisagés ; Herrick écrit sur ce sujet (cf 218,2):
What is a Kisse? Why this, as some approve;
The sure sweet-Sement, Glue, and Lime of Love. 

Le baiser ne fait pas seulement partie du préambule sexuel, il est dans l'acte même. Voir aussi la fin du poème To Anthea (24.2).
Mais, pour l'écrivain, aimer c'est aussi l'écriture. Lisez un des nombreux textes On himselfe (ici, 17.2) :
     
Young I was, but now am old, 
     But I am not yet grown cold; 
     I can play, and I can twine 
     'Bout a Virgin like a Vine: 
     In her lap too I can lye 
     Melting, and in fancie die; 
     And return to life, if she 
     Claps my cheek, or kisseth me; 
     Thus, and thus it now appears 
     That our love out-lasts our yeeres.

L'expression in fancie die est riche en ambiguïtés : die c'est bien sûr la mort, ce que l'écrivain laisse, comme le dit le dernier vers. C'est aussi l'orgasme, la petite mort, suivie d'un retour à la vie (return to life), une mort imaginaire (fancie). Mais ce mot, fancie, c'est aussi l'imagination de l'écrivain, le pouvoir du poète. 
On peut suivre Seth D. Clarke quand il écrit : " poetry itself, the act of writing these poems was in itself an act of sexuality for Herrick."

Écoutez le poème. Vous entendrez comme il exprime le désir. 
Plus haut j'ai écrit que Robert Herrick était "le chantrede l'amour". Vous sentez bien que c'est à un poète érotique que nous avons affaire.

J'ose quelques remarques personnelles sur le poème Upon Julia's clothes.  
Le titre parle des vêtements de Julia. Mais dans le poème, c'est la femme (my Julia) qui est le sujet. Six vers seulement. Un instant peut-être, comme le bref plaisir masculin. Mais c'est la durée infinie, comme le plaisir féminin, qui est ressentie (sweetly flows).
On a souvent relevé comme Herrick insiste sur le côté liquide, exprimant ce qu'il y a de passager dans la sensation.
Pas d'accord.
Certes cela coule, mais rien ne dit le terme, la fin, de ce flot, au contraire. La soie est lisse et souple comme l'eau à la surface d'une rivière (flows) ; mais elle reste ; ce doux écoulement n'a pas de fin. Bien plus, c'est cette durée qui est exprimée par le choix d'un mot rare, de quatre syllabes : liquefaction. La liberté du corps féminin (each way free) dit bien que les vêtements constituent peut-être le début de la séduction, mais que c'est de l'être entier qu'il s'agit, de Julia, puis de celui de l'autre. Le mot vibration exprime cette communication de l'homme à la femme. Le phénomène physique est partagé. C'est d'une fusion des êtres qu'il s'agit. En l'instant des six vers, on passe de Julia (désignée, il est vrai comme my Julia) dans le premier vers, à me, dans le dernier. En plus, si le sens dominant est celui de la vision (I cast mine eyes and see), il y a un élargissement sensuel. Cette communication entre l'homme et la femme est contenue dans le mot vibration  conduisant à l'emprise physique (taketh me). L'éblouissement lumineux (glittering) parle donc pour les autres sens.
Dans le recueil Hesperides, il y a bien une cinquantaine de textes consacrés à Julia. Est-ce la même ? Peu importe. Herrick sait nous dire le concret du plaisir sensuel, sous-entendu dans Upon Julia's clothes. Il regarde (164.1) avec grand plaisir (with much delight) les mamelons des seins de Julia (each neat niplet of her breast) ; ailleurs (96. 2), l'amant actif apparaît : there my lips Ile lay. Etc.
Dans le poème que nous considérons on lit au deuxième vers ce redoublement (then, then,) qui marque l'impatience sensuelle avec le trouble émotionel qui l'accompagne (methinks). L'acte d'amour a commencé, nous en avons une conscience peut-être floue, le désir nous domine. Nous, c'est lui et elle, elle et lui. 

Regardez le portrait de notre poète, tel qu'il l'a choisi et proposé à ses contemporains, gravé par William Marshall, pour le frontispice du recueil Hesperides (1648) :

 

 

 

[Le portrait dans un ovale au début de ce billet est de Niccolò Schiavonetti (1771-1813) ; cette gravure se trouve à la National Portrait Gallery de Londres. Il s'inspire, nous dit-on, d'un "artiste inconnu". Non. C'est évidemment le portrait de William Marshall pour le frontispice du livre Hesperides, qui en est le point de départ. 
Ce billet s'inspire d'un texte mis en septembre 2012 sur le blog "Lire à Vouvray" et le reprend en partie. Il se veut une introduction à l'œuvre du poète Robert Herrick. Il demande au lecteur une connaissance de l'anglais. Les liens ont été vérifiés et sont normalement actifs. Comme toujours, un clic sur les mots
en bleu permet d'en savoir plus et de voir ce que les autres disent.]

 

BC
 

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